Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
146
DOUZE ANS DE SÉJOUR

levaient contre lui la réprobation nationale. Les cas les plus dangereux, heureusement peu communs, étaient ceux où quelques-unes de ces bandes de soldats, passant du service d’un Dedjazmatch à celui d’un autre, recevaient l’hospitalité pour une nuit, et faisaient naître quelque prétexte pour piller les citadins. Les religieux sommaient alors le Polémarque de la province, sous peine d’excommunication, de poursuivre les violateurs, et enjoignaient à tout chrétien de leur refuser l’eau, le feu, la nourriture, l’abri, et de désigner le chemin qu’ils avaient pris. Pour éviter de périr par le fer, les coupables se dispersaient ordinairement devant l’animadversion générale. Justice faite, ces ermites, parmi lesquels on voyait souvent la personnification héroïque des vertus chrétiennes et de la conscience publique, s’en retournaient à leurs déserts, laissant derrière eux une trace bienfaisante.

On ne peut s’empêcher de reconnaître chez ces religieux, séparés de l’unité chrétienne par le fait plutôt que par la volonté, une piété et des vertus incontestables ; leur détachement, leur dénûment de tout ce qui excite les convoitises des hommes, leur donnent un ascendant, accru souvent du souvenir de leur vie passée. On trouve parmi eux beaucoup d’hommes appartenant aux premières familles, d’anciens notables, des soldats ou des chefs célèbres, qui, à la suite de quelque grand chagrin ou d’un retour subit sur eux-mêmes, ont quitté famille, dignités, rang, fortune et jusqu’à leur nom, pour prendre l’habit religieux et aller vivre d’austérités dans les cavernes ou les hernes les plus sauvages. Quelques-uns s’entourent, pour disparaître, de précautions telles que leurs meilleurs amis perdent leur trace,