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DOUZE ANS DE SÉJOUR

fruitier. Il la féconde par ses efforts ; il passe ; la terre l’engloutit et reverdit au soleil. Qu’est-ce qu’un propriétaire dont l’objet est plus fort que lui ? Détenteurs de terres nobles et tenanciers de fiefs, il n’y a pas de droit de suzeraineté héréditaire. Dieu le donne à qui il lui convient ; il me l’a donné, à moi, Gouksa ! Je suis le seigneur du sol : toute terre relève de moi, et c’est moi seul qui la dispense à mon gré ! Femmes nobles et seigneurs, tenanciers de fiefs, présentez-vous ; je confère rang et investiture ! Que ceux qui ne m’aiment pas s’éloignent dès cette heure ! Laboureurs, labourez ; trafiquants, continuez votre trafic. C’est moi qui suis votre droit et votre force ! Hommes et femmes nobles, cavaliers et gens de guerre, venez vous ranger autour de moi ! »

On comprend difficilement que Gouksa ait osé proclamer ainsi par ban, en Bégamdir, où sa puissance n’avait aucune racine, et où les populations étaient encore frémissantes, que le droit de propriété était révocable. Mais que ne peut-on pas faire d’un peuple divisé ! Gouksa avait eu soin de faire répandre la croyance qu’une certaine classe de propriétaires faisait seule obstacle à la bonne administration de ses États et au bonheur régulier des cultivateurs, et que ses sujets seraient heureux, le jour où ils deviendraient tous égaux devant lui. Cette classe se composait des propriétaires de terres allodiales, nobles ou roturières, parmi lesquelles les unes étaient censables, les autres censéables. Ces propriétaires formaient la classe la plus indépendante de la nation et la plus nombreuse après celle des laboureurs, dont ils partageaient les préoccupations et les intérêts, et dont souvent même ils épousaient