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DOUZE ANS DE SÉJOUR

voyagé pour faire le commerce ; leur facilité à payer une fois connue, les péagers d’abord, et bientôt les paysans, se postaient sur leur route, et, alléguant des droits imaginaires, leur extorquaient de l’argent. J’ignorais alors, mais je pressentais qu’il ne convenait pas de nous laisser assimiler à des trafiquants, et mon instinct me guidait sûrement, car dans cette partie de l’Afrique, où tout est féodal, la considération s’accorde d’après la classe à laquelle on appartient. Les nobles et les hommes de guerre sont placés au premier rang, ensuite les hommes d’église, puis les riches cultivateurs, les propriétaires de grands troupeaux, les paysans, enfin les trafiquants, et, en dernier lieu, ceux qui exercent quelque métier manuel ; parmi les marchands, ceux qui font trafic d’esclaves sont méprisés. Je ne me suis jamais soumis, en Éthiopie, à payer un droit de douane ou de passage ; dans cette circonstance et dans celles du même genre où je me suis trouvé depuis, jusqu’au moment où, en changeant ma manière de voyager, je me suis affranchi de ces sortes d’ennuis, le seul mobile de ma résistance a été de relever la considération due à mes compatriotes. Pour arriver à ce but, j’ai dépensé bien plus de temps, d’argent et de fatigues que si j’eusse consenti à subir ces avanies, et si mes efforts et ceux de mon frère ne les ont pas fait disparaître complètement, du moins les ont-ils rendues bien plus rares. La notoriété de notre résistance a servi de précédent, et a permis à quelques voyageurs européens, venus après nous, de suivre notre exemple et d’établir ainsi nos droits.

Ayant opposé un refus motivé à l’émissaire de Gabraïe, nous voulûmes nous remettre en marche ; mais notre rusé drogman, pour se rendre agréable à Gabraïe, s’y prit si bien qu’il nous décida à passer la