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DOUZE ANS DE SÉJOUR

dit un seul mot, qui sembla causer une émotion pénible ; le grand livre fut emporté ; l’assemblée s’écoula silencieusement et fut accueillie au dehors par une sourde rumeur. Je restai seul en face du prince, avec mon drogman et les soldats qui entouraient sa couche. Sur son invitation, je m’approchai, et le remerciai d’avoir facilité mon arrivée et celle de mon frère, dont j’excusai l’absence en alléguant sa fatigue. Le prince était très-grave ; il me congédia presque aussitôt, en me disant qu’il me ferait savoir le jour où je devrais lui présenter mon frère et le Père Sapeto.

À peine sorti, mon drogman poussa de gros soupirs comme un homme longtemps oppressé, et me dit :

— Étonnant ! étonnant ! j’en suis encore abasourdi ! Avoir des yeux, des oreilles, des sens au complet, et n’en pas faire usage ! Nos pères l’ont bien dit : Évite de prendre pour compagnon l’homme colère. Vous autres, Francs, vous êtes toujours bouillants. Jolie matinée que tu m’as faite là ! Je l’ai échappé belle. Tu appelles donc à plaisir les catastrophes ? Frapper un huissier, là, devant tout le monde, pour nous faire hacher sur place ! Mais, apprends, jeune imberbe, que celui qui voyage doit savoir dévorer un affront, s’il veut rentrer chez lui à la fin du jour. Est-il nécessaire de parler la langue des gens pour se rendre compte de ce qui se passe ? Je vais t’expliquer, moi, ce que tu n’as pas su comprendre :

— Un chef important a voulu, ces jours derniers, entrer chez le prince : arrêté comme toi par l’huissier, comme toi il a osé lever sur lui la main ; et aujourd’hui, à cette même place où vous avez l’un