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iv
INTRODUCTION.

bliquement traitée de découverte[1]. Mais Dom Gervaise était resté sous l’influence de Bussy-Rabutin. Entrevues secrètes, mystérieuses confidences, billets en prose et en vers, il ne manque à sa « relation des premières amours d’Héloïse et d’Abélard, » rien de ce qui en avait fait un commerce galant sous la plume de l’auteur de l’Histoire amoureuse des Gaules. Aussi, le charme du roman, à peine rompu un moment, reprend-il bientôt son empire ; après avoir disputé le terrain à la vérité, la fiction finit par en prendre décidément la place. Sous prétexte « d’embellir la réalité[2], » le talent de Pope[3] et l’esprit de Colardeau[4] achèvent de la fausser. « Quand vous dites que les femmes ne savent ni décrire ni sentir l’amour même, écrivait d’Alembert à Rousseau[5], il faut que vous n’ayez jamais lu les lettres d’Héloïse, ou que vous ne les ayez lues que dans quelque poète qui les aura gâtées. » Cinquante ans après, Chateaubriand, qui critique Colardeau et admire Pope, ne connaît d’autres textes que ceux de Pope et de Colardeau[6].

Le besoin d’exactitude et de vérité qui caractérise les travaux de l’érudition moderne a ramené les traducteurs contemporains à un sentiment plus juste ; tel est le caractère des versions de M. Oddoul[7]

  1. Le public est très-obligé au traducteur de ces Lettres de la découverte qu’il a faite, puisque tout le monde va présentement regarder toutes celles qui ont eu cours comme l’ouvrage de faiseurs de romans… » (Approbation de M. Richard, doyen des chanoines de l’Église royale et collégiale de Sainte-Opportune, à Paris, censeur royal.)
  2. Encyclopédie, art. Abailard.
  3. On ne compte pas moins de huit traducteurs de l’Épître de Pope. — Voir les Épitres d’Abailard et d’Héloïse, traductions en vers par divers auteurs, 1774. 2 vol. in-12 ; — Abélard et Héloïse, avec un aperçu du douzième siècle, par F.-A. Turlol, 1822 ; — Héloïse et Abailard, lettres traduites du Latin par le comte de Bussy-Rabutin, avec les imitations en vers par de Beauchamps, Colardeau, Dorat, Mercier, Fleury, B… Douxigné, Saurin, précédées d’une nouvelle préface, par E. Martineault, Paris, Garnier, 1845.
  4. Voir, entre autres imitations, Le nouvel Abailard, par Rétif de la Bretonne. Paris, 1778, 4 vol. in-12 ; le nouvel Abailard, ou lettres de deux amants qui ne se sont jamais vus, 4 vol. in-12, en Suisse, 1779. — La parodie a fini par s’emparer elle-même du sujet : Histoire des Amours d’Abailard et d’Héloïse, en vers satiri-comi-burlesques. Cologne, 1721, in-12 ; Le nouvel Abailard ou lettres d’un singe, par Th. de Champigny, 1763, etc.
  5. D’Alembert, Œuvres philosophiques et littéraires, Lettre à J.-J. Rousseau, citoyen de Genève, au sujet de l’article : Genève, de l’Encyclopédie, Édit. Bastien, t. V, p. 540.
  6. Génie du christianisme, part. II, liv. III, chap. v. — Cf. M. de Marchangy, la Gaule poétique, t. VI, p. 295. — En 1800, le roman de 1687 a reparu sous ce titre : Vie, amours, lettres et épitres amoureuses d’Héloïse et Abailard, ouvrage composé d’après les documents les plus authentiques qui aient été publiés sur ces deux infortunés amants, suivis de détails exacts sur les diverses translations de leurs restes mortels, terminés par l’histoire curieuse et lamentable de Baudoin et Geneviève ou la côte des deux amants ; traduction en vers de M. Creuzé de Lesser. — Paris, Baudry.
  7. Lettres d’Abailard et d’Héloïse, traduites par M. Oddoul, avec un Essai sur la vie et les écrits d’Abailard et d’Héloïse, par M. et Mme Guisot. Didier, 1839.