Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/149

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répandu les enseignements. Ce fut contre sa femme, qui l’excitait au blasphème, que Job, ce saint homme, eut à soutenir le dernier et le plus rude des combats. Le malin tentateur savait bien, il avait mainte fois reconnu par l’expérience cette vérité, que les hommes ont toujours, dans leurs femmes, une cause de ruine toute prête. C’est lui enfin qui, étendant jusqu’à nous sa malice accoutumée, a perdu par le mariage celui qu’il n’avait pas perdu par la fornication ; il a fait le mal avec le bien, n’ayant pu faire le mal avec le mal.

Grâce à Dieu, du moins, s’il a pu faire servir ma passion à son œuvre de malice, il n’a pu convertir mon cœur à la trahison, comme les femmes dont j’ai cité l’exemple. Et cependant, bien que la pureté de mes intentions me justifie, bien que mon cœur n’ait point à répondre de l’accomplissement du crime, j’avais auparavant commis trop de péchés pour me croire tout à fait innocente. Oui, dès longtemps asservie aux attraits des voluptés de la chair, j’ai mérité alors ce que je subis aujourd’hui ; c’est le juste châtiment de mes fautes passées. Toute mauvaise fin est la conséquence d’un mauvais commencement. Plaise au ciel que je fasse de ce péché une digne pénitence, une pénitence qui, par la longueur de l’expiation, balance, s’il est possible, le cruel châtiment qui vous a été infligé ; plaise au ciel que ce que vous avez souffert un moment dans votre chair, je le souffre, moi, comme il est juste, par la contrition de mon âme, pendant toute la vie, et qu’ainsi je vous offre à vous, sinon à Dieu, une espèce de satisfaction.

V. S’il faut, en effet, mettre à nu la faiblesse de mon misérable cœur, je ne trouve pas en moi un repentir propre à apaiser Dieu ; je ne puis me retenir d’accuser son impitoyable cruauté au sujet de l’outrage qui vous a été infligé, et je ne fais que l’offenser par mes murmures rebelles à ses décrets, bien loin de chercher par la pénitence à apaiser sa colère. Peut-on dire même qu’on fait pénitence, quel que soit le traitement infligé au corps, alors que l’âme conserve l’idée du péché et brûle de ses passions d’autrefois ? Il est aisé de confesser ses fautes et de s’en accuser, il est aisé même de soumettre son corps à des macérations extérieures ; mais ce qui est difficile, c’est d’arracher son âme aux désirs des plus douces voluptés. Voilà pourquoi le saint homme Job, après avoir dit avec raison : « Je lancerai mes paroles contre moi-même, » — c’est-à-dire, je délierai ma langue et j’ouvrirai ma bouche par la confession pour m’accuser de mes péchés, — ajoutait aussitôt : « Je parlerai dans l’amertume de mon âme. » Et saint Grégoire, rapportant ce passage, dit : « Il y en a qui confessent leurs péchés à haute voix, mais leur confession ne sort pas d’un cœur gémissant ; ils disent en riant ce qu’ils devraient dire avec des sanglots… Il ne suffit donc pas d’avouer ses fautes en les détestant ; il faut les détester dans l’amertume de son âme, afin que cette amertume elle-même soit la punition des fautes qu’accuse la langue conduite par l’esprit. »

Mais cette amertume du vrai repentir est bien rare, et saint Ambroise en