Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de fermer tous les accès, de peur que la pureté de la prière ne soit troublée et que notre œil ne cause la perte de notre malheureuse âme. Aussi gémissons-nous de voir encore, parmi ceux qui ont revêtu notre habit, tant de contempteurs de ce conseil ou plutôt de ce divin précepte. Lorsqu’ils célèbrent les saints offices, ils ouvrent chœur et sanctuaire ; ils affrontent impudemment, à la face du ciel, les regards des femmes et des hommes, — et cela surtout dans les solennités où ils resplendissent de l’éclat de leurs plus précieux ornements, — rivalisant de pompe profane avec les profanes auxquels ils se donnent en spectacle. À leur avis, la fête est d’autant plus belle qu’on déploie plus de magnificence dans les ornements extérieurs, plus de somptuosité dans les offrandes. Déplorable aveuglement, profondément contraire à la religion chrétienne, c’est-à-dire à la religion des pauvres, et dont il vaut mieux ne rien dire pour éviter le scandale d’en parler. Ce sont des gens qui, judaïsant de cœur, ne suivent d’autre règle que leur habitude. Avec leurs traditions au nom desquelles ils se conforment non au devoir, mais à la coutume, ils ont fait des commandements de Dieu une lettre morte. Cependant, ainsi que le rappelle saint Augustin, le Seigneur a dit : « Je suis la vérité, » et non pas : je suis la coutume.

Se recommande qui voudra à ces prières faites à portes ouvertes. Mais vous, que le Roi du ciel a introduites lui-même dans sa chambre, vous qui reposez sur son sein et qui vous donnez à lui tout entières, la porte toujours close, plus vous vous unissez intimement à lui, — selon le mot de l’Apôtre : « Celui qui s’unit au Seigneur ne fait plus avec lui qu’un esprit, » — plus nous avons confiance dans la pureté et dans l’efficacité de vos prières. C’est pour cela que nous en sollicitons si vivement l’assistance. Car nous pensons que vous les adresserez avec d’autant plus de ferveur, que nous sommes plus étroitement unis ensemble par les liens d’une mutuelle affection.

II. Que si, en parlant du péril que je cours et de la mort que je crains, je vous ai émues, en cela aussi, je n’ai fait que répondre à votre demande, que dis-je ? à votre sollicitation pressante. En effet, la première lettre que vous m’avez adressée contient un passage ainsi conçu : « Au nom de celui qui semble encore vous protéger pour son service, au nom du Christ dont nous sommes, ainsi que de vous-même, les humbles servantes, nous vous en conjurons, daignez nous dire, par des lettres fréquentes, au sein de quels orages vous êtes encore ballotté : nous sommes les seules qui vous restions au monde ; que nous puissions avoir part à vos peines comme à vos joies ! La sympathie est un allégement dans la douleur ; tout fardeau qui pèse sur plusieurs est plus léger à soutenir, plus facile à porter. » Pourquoi donc me reprocher de vous avoir fait participer à mes angoisses, quand c’est vous qui, par vos sollicitations pressantes, m’y avez forcé ! Tandis que ma vie est en proie à toutes les tortures du désespoir, conviendrait-il que vous fussiez, vous, dans la joie ? Ou bien ne voudriez-vous avoir part qu’à