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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOÏSE.

Plût à Dieu qu’aujourd’hui on appliquât le même système de concession, et qu’on adoptât un tel tempérament pour toutes les choses qui, n’étant en soi ni bonnes ni mauvaises, sont dites indifférentes ! Plût à Dieu que la règle des vœux n’exigeât pas ce qu’il est devenu impossible de persuader, et que, toutes les choses indifférentes étant tolérées sans scandale, il suffit d’interdire ce qui est vraiment un péché ! Ainsi se contenterait-on, en fait de nourriture et de vêtement, de ce qu’il y aurait de moins cher : le nécessaire en toutes choses et point de superflu.

En effet, il ne faut pas attacher une importance souveraine aux choses qui ne nous préparent pas au royaume de Dieu ou qui ne peuvent avoir qu’un médiocre mérite à ses yeux ; et telles sont les pratiques extérieures communes aux réprouvés et aux pénitents, aux hypocrites et aux vrais dévots. Ce qui distingue essentiellement le juif du chrétien, c’est la différence des actes extérieurs et des actes intérieurs. La charité seule distingue les fils de Dieu et ceux du démon ; la charité, que l’Apôtre appelle la plénitude de la loi et la fin du précepte. Voilà pourquoi, rabaissant le mérite des œuvres pour élever au-dessus d’elles la justice de la foi, il dit, apostrophant le juif : « Où est donc l’objet de votre glorification ? Il est exclu. Par quelle loi ? Est-ce par la loi des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi. Nous concluons donc que l’homme est justifié par la foi dans les œuvres de la loi. » Et ailleurs : « Si Abraham a été justifié par ses œuvres, il a sujet de se glorifier, mais non pas devant Dieu. Car, que dit l’Écriture ? Abraham a cru en Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice. » Et ailleurs : « À celui, dit-il, qui ne fait pas les œuvres, mais qui croit en Dieu qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice, selon le décret de la grâce de Dieu. »

Il dit encore, permettant aux chrétiens l’usage de toute espèce d’aliments, et distinguant de ces pratiques celles qui nous justifient devant Dieu : « Le royaume de Dieu n’est point viande ni breuvage, mais justice et paix et joie dans le Saint-Esprit. Toutes choses sont pures en soi ; le mal est le fait de l’homme qui mange en scandalisant autrui. Il est bon de ne point manger de viande, de ne pas boire de vin, de rien faire qui puisse blesser son frère, le scandaliser ou affaiblir sa foi. » Ce qui est interdit dans ce passage, ce n’est point l’usage d’aucun aliment, mais le scandale qui peut en résulter et qui en résultait, par le fait, pour les juifs convertis, alors qu’ils voyaient manger des aliments interdits par la loi. C’est pour avoir voulu éviter ce scandale que l’apôtre Pierre fut sévèrement réprimandé et salutairement averti, comme saint Paul le rapporte lui-même dans son épître aux Galates. Et il y revient en écrivant aux Corinthiens : « Ce n’est pas notre nourriture qui nous recommande à Dieu, » dit-il. Et ailleurs : « Mangez de tout ce qui se vend au marché… La terre est au Seigneur, ainsi que tout ce qui est dans son sein. » Et aux Colossiens : « Que personne ne vous condamne pour le manger ou pour le boire. » Et plus bas : « Si vous êtes mort avec le Christ aux éléments de ce monde, pourquoi ces mesures, comme si vous