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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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plus dignes. Combien en ai-je tu, le jour de leur élection, verser des lar- mes, qui au fond du cœur étaient ravis ? Ils s’accusaient d’indignité : c’était une manière de cap 1er la faveur et le crédit des hommes ; ils connaissaient ce qui est écrit : « Le juste est le premier accusateur de lui-même ; » et, plus tard, quand accusés, l’occasion se présentait de se démettre, ils défen- daient avec acharnement et sans vergogne celte prélalure qu’ils n’avaient acoeplée que malgré eux, de fausses larmes dans Ses yeux, et en se char- geant d’accusations qui n’étaient que trop fondées. Combien avons-nous \u de chanoines dans l’Église résister à leurs évêques, qui les pressaient d’ac- cepter les ordres sacrés, proclamer qu’ils n’étaient point dignes d’un tel mi- îûstère et qu’ils ne pouvaient absolument se rendre ! Élevés ensuite, bien que simples clercs, à l’épiscopat, ils n’opposaient point de résistance ou à peine. La veille, ils refusaient le diaconat pour sauver leur âme, diraient- ils, et devenus justes en une nuit, ils ne craignaient plus le lendemain les abîmes d’un grade supérieur ! C’est de ces hommes qu’il est écrit dans les Proverbes : a L’homme insensé battra des mains, lorsqu’il aura répondu pour son ami. » Car ce malheureux rit alors de ce qui devrait le faire pleu- rer, puisque, se chargeant de la direction d’aulrui, il se trouve obligé, par son engagement, à veiller sur ses inférieurs, dont il doit se faire aimer plu- tôt que craindre.

Pour écarter, autant qu’il est en nous, un tel fléau, nous interdisons ab- solument à la diaconesse de vivre plus délicatement, plus mollement qu’au- cune religieuse. Elle n’aura point d’appartements particuliers pour manger ou pour dormir ; elle fera tout en commun avec le troupeau qui lui est con- fié ; elle connaîtra d’autant mieux ses besoins qu’elle ne cessera jamais d’y veiller. Nous savons bien que saint Benoît, dans un sentiment de charité pour les pèlerins et les hôtes, avait établi une table séparée pour eux et l’abbé. Mais cette mesure, fort respectable en elle-même, a été modifiée dans la suite par un règlement très-utile. Pour que l’abbé ne sorte pas du couvent, c’est un économe fidèle qui a été chargé de pourvoir aux besoins des pèlerins. Eu effet, c’est surtout à table que la faute est facile, et qu’il faut veiller à l’ol>servation de la règle. Certains abbés diocésains, sous prétexte de bien traiter leurs hôtes, ne songent qu’à se bien traiter eux-mêmes. De là les soupçons qu’excite leur absence et les murmures qu’elle soulève. Plus la vie d’un prélat est secrète, moins il a d’autorité. fit puis toute privation est supportable quand on voit tout le monde la partager, et surtout les supé- rieurs. Caton lui-même nous l’enseigne : comme lui, l’armée souffrait de la soif ; on lui offrit un peu d’eau, il la refusa, la versa à terre, et tout le monde fut satisfait.

Puis donc que la sobriété est particulièrement nécessaire aux supérieurs, ils doivent vivre avec d’autant plus de simplicité que leur exemple sert de règle aux autres. Pour ne point tirer vanité du don que Dieu leur a fait, c’est-à-dire de la prélalure qui leur a été confiée, et ne s’en point faire un