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LETTRES D’ABÉLARD ET D’HÉLOlSE.

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Les matines se chanteront à la pointe du jour, et on les sonnera, s’il est possible, dès le crépuscule. Cet office fini, on retournera au dortoir. En été, les nuits étant courtes et les matinées longues, nous n’interdisons pas de dormir jusqu’à l’heure de primes, pourvu qu’au premier coup de cloche on soit debout. Saint Grégoire fait mention de ce repos après matinestdans son chapitre des Dialogues, lorsqu’il dit, en parlant du vénérable abbé Li- bertinus : « On devait, ce jour-là, prendre mie mesure importante pour le monastère : après matines, Libertinus vint au lit de l’abbé pour lui de- mander humblement sa bénédiction. » Il n’est donc pas interdit de reposer après matines, depuis la Pâque jusqu’à l’équinoxe d’automne, époque à par- tir de laquelle les jours diminuent.

Au sortir du dortoir, on se lavera les mains, on prendra les livres, et on restera dans le cloître à lire ou à chanter jusqu’au coup de primes. À l’is- sue de primes, on se rendra au chapitre, et là, toutes les sœurs étant réu- nies, on lira le martyrologe après avoir indiqué le jour de la lune ; ensuite il sera fait quelque entretien édifiant ou quelque lecture commentée de la règle ; enfin ce sera le moment de pourvoir aux réformes ou aux disposi- tions nouvelles, s’il y a lieu.

On doit comprendre qu’un monastère, pas plus qu’une autre maison, ne passe pour mal ordonné, parce qu’il s’y produit quelque désordre, mais parce que, le désordre produit, il n’y est pas diligemment porté remède. Quel est, en effet, le Heu où le péché n’ait sa place ? Saint Augustin était bien convaincu de cette vérité, quand dans un certain passage de son instruction a son clergé, il disait : « Quelque vigilante que soit la règle de ma maison, je suis homme, et je vis parmi les hommes, et je ne me flatte pas que ma maison vaille mieux que l’arche de Noé, où cependant sur huit hommes il y eut un réprouvé ; mieux que la maison d’Abraham, à qui il a été dit : • Chassez votre servante ; » mieux que celle d’Isaac, où Dieu a dit : « J’ai aimé Jacob et haï Esaû ; » mieux que celle de Jacob, où le fils a souillé le lit de son père ; mieux que celle de David, dont un fils a couché avec sa sœur, tandis que l’autre s’est révolté contre son père ; mieux que la compagnie de saint Paul, qui n’aurait pas dit, s’il n’eût habité que parmi des justes : « Au dehors les combats, au dedans les alarmes ; » et encore : « 11 n’y a per- sonne qui s’occupe cordialement de vous, chacun ne cherche que son bien ; » mieux que la compagnie de Jésus lui-même, auquel onze justes ont fait sup- porter la perfidie et les larcins de son douzième disciple, de Judas ; mieux enfin que le ciel dont les anges ont été précipités. » Le même Père qui nous encouragea suivre la règle du monastère ajoute : « J’avoue devant Dieu que, du jour où je me suis consacré à son service, je n’ai pas trouvé de meilleurs chrétiens que ceux qui vivent dans les monastères, conformément à leurs vœux ; mais je n’en ai pas non plus connu de pires que ceux qui ont failli dans les monastères. » En sorte que, si je ne me trompe, c’est de là qu’il