Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

délinquant d’un énergique « salaud » qui suffirait à dégoûter un satyre des attentats publics à la pudeur. Pour mon ami Masson mon rire était inexplicable et je ne sais pas si ce jour-là, il ne me taxa point de pédérastie, car il était courroucé en récitant une phrase latine qui devait être lapidaire où il était question de débauchés qui se baignaient en compagnie d’adolescents choisis parmi les plus beaux.

Pauvre Masson, cher ami, généreux et enthousiaste, pauvre fleur qui allait éclore et dont les pétales n’ont pas ri au soleil, accepte ma pensée émue, un souvenir ineffable, une larme de regret d’un poète, comme toi, frappé par Elle mais qui jusqu’ici échappa à sa dernière étreinte. Et si tu vis aujourd’hui, de la vraie vie parmi les justes et les bons, dans la Poésie éternelle, intercède pour moi auprès du Tout-Puissant… et dis-lui que je suis faible parce qu’homme, homme aussi, parce que souffrant !

Masson et moi, nous évoquions d’innocentes idylles que nous embellissions à souhait, avec cette merveilleuse imagination de notre jeunesse chaleureuse et toute la fantaisie des poètes. Il m’apprit qu’une de ses voisines, quelqu’étudiante, en « pinçait » pour moi. Flatté, je déclarais que moi aussi je la trouvais intéressante. Ce qui n’était pas vrai puisque je ne l’avais jamais remarquée jusque-là. Mais qu’importe ! ne vit-on pas de mensonges ? et ne sont-ce point les illusions et les mirages, les denrées quotidiennes de l’existence ? Leurrons-nous d’espoirs vains. Ils ne sont jamais tout à fait vains puisqu’ils nous ont fait espérer. Espérer c’est diviniser. L’espoir soulève le monde…

Ce que je ne racontais pas à Masson, c’était cette passion soudaine qui m’avait, un soir de fête, de l’été écoulé, jeté de toute mon âme éprise d’idéal, de toute ma sensualité d’adolescent capricieux vers une brune adorable, dont les yeux noirs si profonds et si doux, me fascinèrent. Non, je ne pouvais dire cet amour qui me fit tant mal. Une pudeur