Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/34

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Ah ! que j’aurais voulu vivre, jadis, à l’époque puissante des Celtes aux longs cheveux bouclés, époque du «  bragou-braz » symbolique, époque fruste pleine d’ardeurs et de santé où tous ceux qui respiraient, choisis par une rigoureuse sélection, étaient gens sans tares et combien heureux ! mais à quoi bon revenir sur le passé. Fi des regrets intempestifs ! Le passé n’est-il pas toujours le bon vieux temps ? plein de loups, de fièvres malignes, de famines, d’épidémies ?… Brrr ! ! ! Aujourd’hui, tuberculose, cancer, syphilis. Alors, écrouelles, lèpre, peste. L’humanité aura toujours ses maux, loi éternelle. D’une calamité à l’autre. Ce qui est, est bien. Rien n’y fera.

Et je tousse, je tousse, à fendre l’âme. Je ne puis guère manger. La seule vue de quelqu’un qui s’alimente me dégoûte. Je trouve aux gens un air de jouisseurs.

Mon retour dans l’Arrée a surpris les montagnards et mon immense parenté et, comme l’on m’y tenait en quelque estime, c’est un perpétuel défilé dans mon humble chaumière, du matin jusqu’au soir et du crépuscule à minuit. J’en ai entendu de belles ! Renan ! Renan ! avez-vous enfin mesuré la bêtise humaine ? Oui, de belles, sous formes d’encouragements candides et maladroits, d’exhortations grotesques et pathétiques, de conseils fleurant les sorcières et l’incantation. Je me réjouis. Je ne suis pas encore rassasié de l’hypocrisie et de la sottise des gens. Le malheur d’autrui ne touche pas, mais il est des convenances qu’on respecte, des habitudes singulièrement fausses qui dans les mœurs de toujours, voileront à jamais sous un masque décent d’une traîtrise inouïe l’égoïsme incurable inné au cœur des hommes.

Avec une curiosité malsaine on m’interroge. Et je réponds de mon mieux. Je n’ai pas encore appris à me méfier des gens et je prends pour sincère la fausse commisération des commères que l’arôme du café rend d’une