Page:About - Le Roi des montagnes.djvu/20

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blancheur de ses trente-deux dents, meules formidables dont il était le moulin. Je dois avouer que sa conversation m’a laissé peu de souvenirs : on trouvait aisément la limite de son intelligence, mais on n’a jamais connu les bornes de son appétit. Christodule n’a rien gagné à l’héberger pendant quatre ans, quoiqu’il lui fît payer dix francs par mois pour supplément de nourriture. L’insatiable Maltais absorbait tous les jours, après dîner, un énorme plat de noisettes, qu’il cassait entre ses doigts par le simple rapprochement du pouce et de l’index. Christodule, ancien héros, mais homme positif, suivait cet exercice avec un mélange d’admiration et d’effroi ; il tremblait pour son dessert, et cependant il était flatté de voir à sa table un si prodigieux casse-noisette. La figure de Giacomo n’aurait pas été déplacée dans une de ces boîtes à surprise qui font tant de peur aux petits enfants. Il était plus blanc qu’un nègre ; mais c’est une question de nuance. Ses cheveux épais descendaient jusque sur les sourcils, comme une casquette. Par un contraste assez bizarre, ce Caliban avait le pied le plus mignon, la cheville la plus fine, la jambe la mieux prise et la plus élégante qu’on pût offrir à l’étude d’un statuaire ; mais ce sont des détails qui ne nous frappaient guère. Pour quiconque l’avait vu manger, sa personne commençait au niveau de la table ; le reste ne comptait plus.

Je ne parle que pour mémoire du petit William Lobster. C’était un ange de vingt ans, blond, rosé et joufflu, mais un ange des États-Unis d’Amérique. La maison Lobster et Sons, de New-York, l’avait envoyé en Orient pour étudier le commerce d’exportation. Il travaillait dans la journée