Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/107

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– Ils boivent, dit-elle tout bas à Belle-Rose.

– Tous ?

– Tous, sauf un.

Belle-Rose ouvrit la fenêtre.

Au troisième voyage de la cabaretière, un soldat la suivit.

– Laissez-moi et finissons, dit-elle.

– Non pas ; vous avez de trop beaux bras.

– S’ils sont beaux, ils sont forts ; gare à vos joues !

– Eh ! eh ! reprit le soldat en apercevant Belle-Rose, nous ne sommes pas seuls ! La compagnie fait peur à l’amour. Eh ! l’ami, retournez-vous donc un peu, qu’on vous regarde !

Belle-Rose tressaillit au son de cette voix qui ne lui était pas inconnue. Il appuya une main sur la fenêtre, se retourna, et reconnut Bouletord, Bouletord qui était passé de l’arme de l’artillerie dans la maréchaussée à pied, où il avait vaillamment gagné les galons de brigadier.

– Belle-Rose ! s’écria-t-il. Eh ! eh ! camarade ! nous avons un vieux compte à régler ensemble. Vous avez eu la première manche ; mais à moi la partie. Vous êtes mon prisonnier.

– Pas encore, dit Belle-Rose en posant le pied sur la fenêtre.

Bouletord s’élança vers lui, mais un furieux coup de poing le renversa rudement par terre, et d’un bond Belle-Rose franchit la fenêtre. Aux cris du brigadier, la maréchaussée accourut, mais par une singulière inadvertance, en voulant secourir Bouletord, la cabaretière avait repoussé les châssis couverts de rideaux rouges, si bien que la vue de la campagne et du fuyard était interceptée.

– Qu’y a-t-il donc ? demandèrent les soldats.

Bouletord, sans répondre, saisit un mousquet, ouvrit la fenêtre et fit feu. La balle fit sauter l’écorce d’un saule à dix pas de Belle-Rose.