Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sœur est venue, tremblante et désolée, me dire que vous attendiez un mot qui vous rappelât à moi ! Ce mot, vous l’avouerai-je, mon ami, vingt fois ma bouche l’a prononcé. C’était moins une parole qu’un soupir, moins un soupir qu’une effusion du cœur ! Et maintenant j’hésite ! Oh ! je n’hésite même pas. Non, mon ami, non, vous ne pouvez, vous ne devez pas me revoir. Votre souffrance ne vous dit-elle pas la mienne ? Tenez, Jacques, si vous entriez, si je vous entendais ici, près de moi, si votre voix me suppliait, oh ! je le sens, ma force épuisée ne combattrait même plus ; pour vous consoler, je me perdrais… Dites, Jacques, dites, le voulez-vous ? Que votre courage vienne en aide au mien ; mais ne m’accusez pas dans votre douleur. Vous avez l’éclat des armes, le bruit de la guerre pour oublier ; moi, je n’ai rien, rien que la prière. Voudriez-vous donc m’enlever le seul asile où mon âme puisse encore se réfugier ? Faites un pas, venez, et je suis sans défense, et quand vous me quitterez, heureux de m’avoir revue, moi, je mourrai.

« SUZANNE. »


À cette lecture, le cœur de Belle-Rose se brisa ; il pressa la lettre contre ses lèvres et recula.

– Si frêle de corps et si forte d’âme ! murmura-t-il.

Claudine passa ses bras autour du cou de son frère et l’entraîna.

– Viens, lui dit-elle, viens.

Comme ils venaient de franchir la petite porte du jardin, un officier supérieur se présenta devant eux. C’était un homme déjà vieux, mais qui le paraissait encore davantage à cause de sa taille un peu voûtée et de la difficulté qu’il éprouvait à marcher.

– Bonjour, mon enfant, dit-il à Claudine d’un air doux, et il salua les deux jeunes gens.

Mais en passant devant Belle-Rose, il le regarda avec une expression si singulière, que celui-ci ne put s’empêcher de baisser les yeux ; il lui semblait que ce regard