Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

guerre qui venait de se rallumer en Flandre l’obligea de quitter Paris, et je restai seule. Seule après avoir aimé ! seule ! entendez-vous ? Mon mari avait une haute position à la cour… J’étais jeune et belle… on se pressait autour de moi… je voulus oublier… je voulus tromper l’imagination… Les distractions qui s’offraient à moi, je les acceptai toutes… J’eus bien vite ma part d’influence et je m’en servis. Bientôt même j’aimai ou je crus aimer. Je fis de mon existence un tourbillon ; tous les succès, je les eus ; tous les plaisirs, je les goûtai ; les femmes m’enviaient, les hommes m’admiraient, on me croyait heureuse, et je n’étais que folle ! M. d’Assonville m’a bien souvent maudite… il ne m’a pas vue aux heures où j’étais seule ! Que de fois n’ai-je pas pleuré toute la nuit dans mon oratoire, comme une Madeleine aux pieds du Christ ! Et puis, le lendemain, c’étaient des fêtes et d’autres égarements !

Ô mon Dieu ! reprit Geneviève en sanglotant, je vous dis tout, à vous, Jacques, et vous allez me haïr, me mépriser peut-être ! Ces temps d’erreurs, je les maudis. Si mon sang pouvait les effacer, je les verserais goutte à goutte… Est-ce bien moi, la fille de ma mère, une sainte femme, qui ai pu passer par cette route-là ? J’avais le vertige et je suivais ma pente quand je vous rencontrai ! Vous en souvenez-vous, Jacques ?

– La trace du feu ne s’efface pas, dit Belle-Rose à demi-voix.

– Mon Dieu ! laissez-moi croire que vous me pardonnerez ; je ne vous demande rien qu’un peu de cette pitié que vous avez pour tous les malheureux, reprit la duchesse, s’attachant aux mains de Belle-Rose, et si vous me maudissez encore, moi je vous bénirai toujours ; oui, je vous bénirai, parce que vous m’avez tirée de cette vie misérable, parce que vous m’avez rendu l’amour, la jeunesse, la croyance ; parce que vous avez fait descendre dans mon cœur un rayon de joie et de pureté, parce que j’aime, enfin !