Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/246

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Madame de Châteaufort, éperdue et muette, suivit Belle-Rose et Pierre. Dans l’état de frayeur mortelle où son âme était plongée, ce qu’elle craignait avant toute chose, c’était de demeurer seule. Le paysage était calme et reposé. La campagne, baignée d’une blonde lumière, se perdait dans un horizon placide et vaporeux où rayonnaient seulement quelques étincelles immobiles comme des étoiles. À cent pas du pavillon, la Sambre coulait comme un fleuve d’argent liquide, et l’on n’entendait rien que le doux bruit de l’eau qui se brisait au pied des saules. Il semblait aux deux frères que les cris s’étaient élevés dans la direction de la rivière. Ils s’avançaient donc de ce côté, prudemment, l’œil et l’oreille au guet, comme des soldats qui craignent une surprise, lorsqu’un cri rauque, haletant, essoufflé, passa au-dessus de leur tête, et fit se courber Mme de Châteaufort comme un arbre battu par le vent. Un silence lugubre le suivit. Belle-Rose se redressa impétueusement.

– C’est le cri d’un homme qui se noie ! dit-il ; et il s’élança vers le rivage.

Pierre arriva sur le sable aussi vite que lui, et tous deux courbés cherchèrent le long du fleuve, qui brillait comme un large ruban d’acier.

Ils n’avaient pas fait cinquante pas, qu’ils aperçurent auprès d’un vieux saule, penché sur le fleuve, un corps noir qui flottait doucement au cours de l’eau. Il y avait des instants où ce corps venait à la surface, et d’autres où il disparaissait sous les branches du saule, obéissant au remous qui le balançait.

– Le voilà ? dit Pierre, regarde : ses deux mains sont nouées autour d’une branche.