Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/298

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et poussant son cheval, il se jeta en avant comme un piqueur. Ils coururent ainsi pendant trois ou quatre relais. L’or que Mme de Châteaufort avait tiré de ses diamants aplanissait toutes les difficultés. On leur donnait à toutes les postes les meilleurs bidets, les postillons galopaient à bride abattue, et l’on perdait partout tant de temps à compter les louis, qu’il n’en restait plus même pour s’informer du nom des voyageurs. À Noailles, le cheval de Belle-Rose fit un écart et tomba. La Déroute sauta par terre, mais Belle-Rose s’était déjà relevé.

– Eh ! capitaine, vous n’avez rien ? s’écria le sergent.

– Rien ; mais le cheval m’a tout l’air de boiter.

La Déroute examina les jambes de l’animal.

– Il a laissé deux pouces de chair sur le chemin du roi, dit-il ; c’est une ou deux lieues qu’il faudra faire à pied.

– Eh ! mais, reprit Belle-Rose en s’adressant à la Déroute, comme te voilà pâle toi-même.

Le sergent frappa violemment du pied contre la terre.

– Tenez, murmura-t-il, moquez-vous de moi tant que vous voudrez, mais votre chute m’a fait tourner le sang. Il nous arrivera malheur.

– Et que veux-tu qui nous arrive ? reprit Cornélius.

– Ma foi, monsieur, quand on a l’Angleterre en face et les gens du roi derrière, on a bien le droit de trembler un peu. C’est un pressentiment que j’ai.

Belle-Rose, qui rajustait la selle, haussa les épaules.

– Ce n’est point une superstition cela, continua le sergent ; la veille du jour où fut livrée la bataille des Dunes, un cheval que je conduisais roula dans un fossé, moi dessous, lui dessus. Bon ! dis-je à mes camarades, vous verrez demain.

– Et que virent-ils ?

– Parbleu ! ils virent un Espagnol qui me plantait sa pique dans le ventre.