Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/30

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et de fraîcheur, la tranquille retraite où il avait bégayé sa première prière et rêvé ses premiers rêves d’amour ; les grandes campagnes qui avaient protégé son âme de leur solitude et de leur sérénité ; le vaste château, voilé de vieux ormeaux, où si souvent il avait soupiré, sans savoir la cause de ses soupirs, aux bruits innocents de deux lèvres enfantines chantant une chanson du pays. Les bœufs fauves égarés dans les grasses prairies, les taureaux ruminant à l’ombre des hêtres, le troupeau filant le long du sentier, les noirs essaims des corneilles dispersés autour des chênes, la jeune fille passant pieds nus le ruisseau babillard, le lourd fermier pressant l’attelage paresseux, et jusqu’aux alouettes blotties aux creux des sillons ou perdues dans l’azur immense, tous les êtres et toutes les choses de la création avaient une part dans cette vie qui s’était épanchée comme une onde limpide et fraîche entre deux rives d’herbes molles. Derrière lui, c’était le repos et la paix ; c’était l’inconnu et ses hasards sans nombre devant lui.

Jacques s’appuya sur le bâton de houx, et promena ses regards au loin ; mille souvenirs oubliés s’éveillèrent en foule dans son cœur ; longtemps il écouta leurs voix confuses qui se redisaient le passé tout plein de douces joies et d’honnêtes labeurs, et se plut à leurs récits mystérieux, les yeux tournés vers les beaux ombrages qui faisaient à Malzonvilliers une verte ceinture. Deux larmes qui vinrent mouiller ses mains, sans qu’il les eût senties couler sur ses joues, le tirèrent de son rêve. Combien d’autres n’étaient pas déjà tombées sur la poussière ! Jacques secoua la tête et s’élança sur le revers du monticule. Après avoir passé la nuit à Fauquembergue, il arriva le lendemain à Fruges. Dans l’auberge où il s’arrêta, quelques rouliers, assis autour d’une table, dépeçaient un quartier de mouton ; ils causaient vivement entre eux, et Jacques remarqua avec surprise que leurs chariots étaient encore tout attelés sur la route ; les animaux, débridés seulement, mangeaient à