Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/308

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– Pas si loin toujours que le roi ne le sache.

– Le roi est en Flandre, et je suis à Paris ; le roi est le roi, et je suis son ministre ! s’écria M. de Louvois, qui déchirait la table avec le tronçon du canif.

Suzanne se tut ; elle commençait à comprendre que son action pouvait avoir des suites qu’elle n’avait pas même soupçonnées ; avec un ministre comme M. de Louvois, nul n’était à l’abri de sa colère, ni le vieillard, ni l’enfant, ni le faible, ni le puissant. C’était un esprit dominateur et cassant, qui broyait les résistances et passait sur toutes les choses le niveau de sa volonté. Mais ces dangers qu’elle devinait à présent, Suzanne les aurait bravés si elle les avait connus. Elle se résigna donc et attendit. M. de Louvois jeta sur le parquet le manche de son canif.

– J’en suis fâché, madame, reprit-il d’un ton brusque, mais vous aurez un compte sévère à rendre de tout ceci.

– Je suis votre prisonnière, monseigneur.

– Je le sais, et c’est une maladresse que vous avez commise.

Suzanne regarda le ministre d’un air étonné.

– Eh ! madame, continua M. de Louvois avec un sourire amer, quand on fait de ces coups-là on les fait tout entiers. Je puis bien vous le dire, maintenant que vous ne l’avez pas fait, mais puisque vous vouliez délivrer Belle-Rose, il fallait partir avec lui.

– Je ne suis pas encore sa femme, monseigneur.

Le ministre haussa les épaules.

– Je vous remercie de ces scrupules, madame, ils m’ont servi plus que je ne l’espérais. Je vous l’ai dit, j’en suis fâché, mais si je n’ai pas Belle-Rose, vous payerez pour lui. Au crime il faut le châtiment.

– Mais de quel crime parlez-vous, monseigneur, et quel crime ai-je donc commis ? s’écria Suzanne indignée, et qui sentait dans sa conscience et dans son amour assez de force pour tout braver. Je ne sais qu’un crime