Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/330

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avaient de la jeunesse et de la beauté. La mère Évangélique et Mme d’Albergotti échangèrent un coup d’œil. Le regard de la supérieure, rapide et froid, impressionna douloureusement Suzanne, qui se sentit un éloignement irrésistible pour elle ; quant à la mère Évangélique, elle considéra quelque temps l’étrangère, de qui la grâce et les charmes lui rappelaient sa défaite et son humiliation ; la haine pénétra dans son cœur, et la mission dont M. de Louvois la chargeait lui parut douce à remplir.

– Ma fille, dit-elle à Suzanne avec un pâle sourire, M. de Louvois, qui vous veut du bien, me mande qu’il vous a choisi notre maison pour retraite. Au seuil de cette pieuse maison meurent les bruits du monde. Réjouissez-vous, ma fille, d’y être venue.

– Je m’en réjouirais, madame, si j’y étais venue de mon plein gré ; mais on m’y a conduite de force, et j’imagine que cette maison est, pour moi, une sorte de Bastille.

La mère Évangélique se pinça les lèvres ; mais elle reprit doucement :

– Vous n’êtes point dans une prison : c’est ici la maison de Dieu, et vous êtes sous la protection de la sainte mère du Christ. Vous êtes jeune, ma fille, et sujette aux illusions du monde. Mais on apprend dans notre paix profonde à ne rien regretter, et j’ai l’espoir que vous entrerez un jour dans le saint troupeau dont Dieu m’a confié la direction.

Suzanne écouta ce petit discours les yeux attachés sur ceux de la supérieure. Les paroles en étaient douces comme du miel, mais elles étaient amères au cœur, parce qu’elles ne venaient pas du cœur. Suzanne était naturellement pieuse et sincère, toutes les choses qui lui semblaient affectées et qui mêlaient au mensonge les couleurs de la religion lui répugnaient doublement ; elle ne put s’empêcher, franche comme elle l’était, de montrer dans sa physionomie l’impression pénible que lui laissait cette