Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/348

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C’est ma fortune qu’ils veulent… ne suis-je pas la dernière héritière ? Qu’ils la gardent cette fortune, moi je prendrai le voile ! J’ai peur de mourir à dix-sept ans… Mon Dieu ! je voudrais vivre.

Les larmes jaillirent encore des yeux de Gabrielle ; sa poitrine était haletante, ses yeux ardents, son souffle enflammé ; la terreur, la fièvre, le désespoir, la torturaient. Enfin, brisée par tant d’émotions, elle finit par fermer ses paupières rougies et s’endormit auprès de Suzanne. Suzanne la regardait et suivait effarée les ravages profonds que l’inquiétude et la souffrance avaient imprimés sur la tête charmante de sa compagne. Elle la baisa au front et la veilla pieusement, le cœur tout plein de tristesse et de pitié. Elle la veillait encore aux premiers rayons du jour, et sa bouche répétait tout bas, comme l’écho d’un son funeste, le dernier mot de Gabrielle :

– Poison ! poison !… partout le poison !


Les aveux nocturnes de Gabrielle avaient noué entre elle et Suzanne des relations plus intimes. À partir de cette nuit funèbre où la pauvre jeune fille avait ouvert son cœur à l’amie que lui envoyait la Providence, ce furent entre les deux recluses de longs entretiens et d’amères confidences. L’une n’espérait plus, l’autre n’espérait guère ; le malheur leur tint lieu de connaissance ; au bout de trois semaines, il leur parut qu’elles ne s’étaient jamais quittées. La tristesse de Gabrielle ne faisait qu’augmenter ; il semblait qu’une main invisible