Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/54

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– Il ne s’en fait pas faute.

– Ces bons Espagnols !

– Oh ! notre commandant leur doit son grade. Aussi a-t-il juré de brûler un cierge en leur honneur au beau milieu de Namur. M. Delorme, qui est à la tête du bataillon, est entré sapeur comme vous. Il a vu passer dix capitaines et trois commandants, ç’a été l’affaire de trois ou quatre boulets et d’une demi-douzaine de grenades.

– Ma foi, le métier de sapeur est un beau métier !

– Très beau. Seulement, pour un officier qui perd la jambe, trente soldats perdent la tête.

– Ah !

– C’est un calcul que je me suis amusé à chiffrer dans mes heures de loisir. Vous en pourrez faire la preuve à la première rencontre.

Belle-Rose ne dit mot et se gratta l’oreille ; au bout de la rue, il se tourna vers le caporal.

– Monsieur de la Déroute, dit-il, me permettez-vous de vous adresser une question ?

– Deux, si vous voulez.

– Vous m’avez dit, je crois, que dans l’artillerie on avance ou on meurt ?

– Oui, mon camarade ; la mitraille sert d’éclaireur.

– Depuis combien de temps servez-vous ?

– Depuis huit ans.

– Diable !

– Voilà une exclamation qui me prouve que votre esprit vient de se livrer à une opération d’arithmétique. Si le sapeur la Déroute a mis huit ans à devenir caporal, combien le sapeur Belle-Rose en mettra-t-il pour devenir capitaine ? C’est ce que nous appelons une règle de trois. Ai-je deviné ?

– Parfaitement.

– Ici la règle de trois a tort. Vous ne mettrez peut-être que six mois à monter au grade de sergent. Quant à moi, je mourrai caporal. Cela tient à une circonstance