Page:Achard - Belle-Rose, 1847.djvu/558

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durant toute la journée on fut triste et silencieux. La Déroute et Grippard eux-mêmes, qui naguère encore n’avaient pas assez de toute leur langue pour dire tout ce qui leur passait par la tête, restaient muets. Vers le soir, au moment où Suzanne allait quitter l’appartement, Belle-Rose la prit dans ses bras et l’embrassa au front. Il était grave et recueilli.

– Allez, lui dit-il, et cherchez quelque repos auprès de ces deux enfants qui sont à vous. Demain, au point du jour, je vous ramènerai à l’hôtel de la rue de Rohan, vous et Claudine. Votre place est désormais à Paris.

– Et la vôtre, Jacques ? répondit Suzanne, qui avait dans ses bras sa fille, et sous sa main son fils d’adoption.

– La mienne est à l’armée tant qu’il me restera assez de force pour tenir une épée. J’irai rejoindre M. de Luxembourg et M. de Nancrais, et avec moi j’emmènerai Gaston.

– Quoi ! un enfant si jeune ! s’écria la mère.

L’enfant releva sa tête blonde et tourna vers Belle-Rose ses grands yeux noirs, où brilla soudain un rayon de joie.

– Je suis fils d’un soldat, dit-il d’une voix limpide et sonore.

– Fils de soldat et de gentilhomme, reprit Belle-Rose. Sa place est dans un camp, près de M. de Nancrais, près de moi. Demain nous partirons ensemble, et la guerre sera son maître.

Le jour s’éteignait et déjà de grandes ombres flottaient sur la campagne. Suzanne et Claudine se retirèrent avec les deux enfants, l’un dormant dans son innocence, l’autre sérieux et pensif ; sa jeune tête, pâlie par une douleur précoce, rappelait déjà l’expressive et charmante physionomie de M. d’Assonville ; il avait les yeux fiers et caressants de Geneviève, avec le profil délicat et net de Gaston. Au moment où sa femme et sa sœur passaient la porte, Belle-Rose fit un signe imperceptible à