Page:Acker - Petites Confessions, sér1, éd3.djvu/11

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que, si par hasard j’assistais à une première, la salle contiendrait deux ou trois personnes qu’il me serait possible de saluer. Désirs ingénus et touchants, encore qu’un peu ridicules…

Des mois passèrent… S’il est noble de noircir, dans une petite chambre, à la faible clarté d’une mauvaise lampe, dans la fièvre d’une ambition juvénile et désintéressée, des feuillets rectangulaires et vierges qui ne se transformeront jamais en épreuves d’imprimerie, cela n’est point lucratif… et il faut vivre. Le journalisme est le salut : il apporte le manger, le boire et le loger… il apporte aussi mille froissements, mille humiliations, qu’on supporte allègrement, si l’on a quelque persévérance, parce qu’il permet de travailler et qu’il instruit. Tout comme les autres, j’allai donc demander à quelques sommités leur avis sur des questions qui ne m’intéressaient point, continuant, en les variant, et sous une autre forme, ces visites que j’avais entreprises au sortir de la vingtième année. Il m’arriva d’être très mal accueilli. J’ai pieusement, ainsi, conservé le souvenir de la réception que me réserva un vieil amiral retraité… Il était membre du Conseil de la Légion d’honneur, et, à la suite d’incidents aujourd’hui sans doute oubliés, il devait joindre sa démission à celle de quelques autres de ses collègues. J’entrai chez lui, un soir vers sept heures. Dieu ! en quels termes sonores il salua ma tremblante apparition ! Je venais le déranger, bon dernier sur vingt journalistes plus rapides, et il me le fit bien voir. Je ne l’ennuyais pas, je ne l’embêtais pas, je… je crus, un instant, que le général Cambronne ressuscitait devant moi, puis le flot de jurons écoulé, il ouvrit la porte et me poussa dehors. C’était un vieux loup de mer : je ne lui en ai point gardé rancune et je remerciai même la Providence qui m’avertissait si durement de renoncer à de semblables besognes.

Je méditais souvent cependant (c’est un mot bien grand pour une bien petite chose !) sur l’interview. Il me semblait qu’on pouvait, au lieu de la borner à la reproduction en français équivoque d’un entretien rarement palpitant, la rendre amusante, vivante et lui ajouter, sans être trop prétentieux, une légère valeur littéraire. M. de Goncourt se plaisait à citer les nombreux articles de grand reportage,