Page:Acker - Petites Confessions, sér1, éd3.djvu/21

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savez comment ils pensaient, quels étaient leurs goûts, leurs vices, leurs vertus. Eh bien ! l’historien fait-il autre chose que dépeindre des hommes, à une époque donnée ? Cette société, que le romancier reconstruit avec des personnages d’imagination, lui, la reconstruit avec ceux-là mêmes qui la constituaient… Et puis, les événements m’ont entraîné. J’étais attaché avant la guerre aux Affaires étrangères, je l’étais encore en 1870, à Tours ; je lisais, je copiais, je rédigeais des papiers diplomatiques. L’histoire contemporaine s’accomplissait sous mes yeux… Pendant vingt-six ans, au Sénat, j’ai continué d’être, en même temps qu’un fonctionnaire zélé (ici, les lèvres se fendirent d’un large sourire), le spectateur attentif de la vie politique. On ne vit pas impunément dans une pareille atmosphère.

Mais j’avais mon idée. Il me plaisait de retrouver déjà l’historien dans le jeune diplomate épris de littérature et je voulais que ce roman contînt toute l’histoire de l’Europe et de la Révolution, du moins toutes ses idées directrices : et M. Sorel ne me contredisait pas trop.

— Il y a du vrai dans ce que vous dites. Vous vous rappelez peut-être cette scène : les officiers sont réunis, on leur a appris la mort de Danton. L’un d’eux s’écrie avec colère : « Nous ne nous battrons pas pour Saint-Just et Robespierre », et leur général répond : « C’est pour la République, contre ses ennemis, que nous nous battons. » Vous savez si on m’a reproché ma sympathie