Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/124

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sance est un effet de la coutume plutôt que de la volonté ; car, s’il lui arrive par hasard de s’émouvoir, la plus petite émotion le conduit aussitôt jusqu’à la violence, et presque toujours c’est aussi la violence et l’arbitraire, et non la loi, qui le répriment.

Le pouvoir central en France n’a pas encore acquis au dix-huitième siècle cette constitution saine et vigoureuse que nous lui avons vue depuis ; néanmoins, comme il est déjà parvenu à détruire tous les pouvoirs intermédiaires, et qu’entre lui et les particuliers il n’existe plus rien qu’un espace immense et vide, il apparaît déjà de loin à chacun d’eux comme le seul ressort de la machine sociale, l’agent unique et nécessaire de la vie publique.

Rien ne le montre mieux que les écrits de ses détracteurs eux-mêmes. Quand le long malaise qui précède la Révolution commence à se faire sentir, on voit éclore toutes sortes de systèmes nouveaux en matière de société et de gouvernement. Les buts que se proposent ces réformateurs sont divers, mais leur moyen est toujours le même. Ils veulent emprunter la main du pouvoir central et l’employer à tout briser et à tout refaire suivant un nouveau plan qu’ils ont conçu eux-mêmes ; lui seul leur paraît en état d’accomplir une pareille tâche. La puissance de l’État doit être sans limite comme son droit, disent-ils ; il ne s’agit que de lui persuader d’en faire un usage convenable. Mirabeau le père, ce gentilhomme si entiché des droits de la noblesse, qu’il appelle crûment les intendants des intrus, et déclare que,