Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/14

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ses désirs, la manifestation authentique de ses volontés dernières. C’est un document unique dans l’histoire. Celui-là même ne m’a pas suffi.

Dans les pays où l’administration publique est déjà puissante, il naît peu d’idées, de désirs, de douleurs, il se rencontre peu d’intérêts et de passions qui ne viennent tôt ou tard se montrer à nu devant elle. En visitant ses archives, on n’acquiert pas seulement une notion très-exacte de ses procédés, le pays tout entier s’y révèle. Un étranger auquel on livrerait aujourd’hui toutes les correspondances confidentielles qui remplissent les cartons du ministère de l’intérieur et des préfectures, en saurait bientôt plus sur nous que nous-mêmes. Au dix-huitième siècle, l’administration publique était déjà, ainsi qu’on le verra en lisant ce livre, très centralisée, très puissante, prodigieusement active. On la voyait sans cesse aider, empêcher, permettre. Elle avait beaucoup à promettre, beaucoup à donner. Elle influait déjà de mille manières, non seulement sur la conduite générale des affaires, mais sur le sort des familles et sur la vie privée de chaque homme. De plus, elle était sans publicité, ce qui faisait qu’on ne craignait pas de venir exposer à ses yeux jusqu’aux infirmités les plus secrètes. J’ai passé un temps fort long à étudier ce qui nous reste d’elle, soit à Paris, soit dans plusieurs provinces[1].

  1. Je me suis particulièrement servi des archives de quelques grandes intendances, surtout celles de Tours, qui sont très-complètes, et qui se