Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/141

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Il n’y a rien qui mette ceci plus en lumière que la lecture des cahiers présentés par les différents ordres en 1789. On voit que ceux qui les rédigent diffèrent profondément par les intérêts, mais que, dans tout le reste, ils se montrent pareils.

Si vous étudiez comment les choses se passaient aux premiers États-généraux, vous aurez un spectacle tout contraire : le bourgeois et le noble ont alors plus d’intérêts communs, plus d’affaires communes ; ils font voir bien moins d’animosité réciproque ; mais ils semblent encore appartenir à deux races distinctes.

Le temps, qui avait maintenu, et sous beaucoup de rapports aggravé les privilèges qui séparaient ces deux hommes, avait singulièrement travaillé à les rendre en tout le reste pareils.

Depuis plusieurs siècles, les nobles français n’avaient cessé de s’appauvrir. « Malgré ses privilèges, la noblesse se ruine et s’anéantit tous les jours, et le tiers-état s’empare des fortunes, » écrit tristement un gentilhomme en 1755. Les lois qui protégeaient la propriété des nobles étaient pourtant toujours les mêmes ; rien dans leur condition économique ne paraissait changé. Néanmoins ils s’appauvrissaient partout dans la proportion exacte où ils perdaient leur pouvoir.

On dirait que, dans les institutions humaines comme dans l’homme même, indépendamment des organes que l’on voit remplir les diverses fonctions de l’existence, se trouve une force centrale et invisible qui est le principe même de la vie. En vain les organes semblent agir