Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/150

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sible de traduire littéralement en anglais ce vers de Tartuffe, quand Molière l’écrivait en 1664 :


Et, tel que l’on le voit, il est bon gentilhomme.


Voulez-vous faire une autre application encore de la science des langues à la science de l’histoire : suivez à travers le temps et l’espace la destinée de ce mot de gentleman, dont notre mot de gentilhomme était le père ; vous verrez sa signification s’étendre en Angleterre à mesure que les conditions se rapprochent et se mêlent. À chaque siècle, on l’applique à des hommes placés un peu plus bas dans l’échelle sociale. Il passe enfin en Amérique avec les Anglais. Là, on s’en sert pour désigner indistinctement tous les citoyens. Son histoire est celle même de la démocratie.

En France, le mot de gentilhomme est toujours resté étroitement resserré dans son sens primitif ; depuis la Révolution, il est à peu près sorti de l’usage, mais il ne s’est jamais altéré. On avait conservé intact le mot qui servait à désigner les membres de la caste, parce qu’on avait conservé la caste elle-même, aussi séparée de toutes les autres qu’elle l’avait jamais été.

Mais je vais bien plus loin, et j’avance qu’elle l’était devenue beaucoup plus qu’au moment où le mot avait pris naissance, et qu’il s’était fait parmi nous un mouvement en sens inverse de celui qu’on avait vu chez les Anglais.

Si le bourgeois et le noble étaient plus semblables, ils s’étaient en même temps de plus en plus isolés