Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/165

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mise à l’écart du reste, des divisions infinies. Il semble que le peuple français soit comme ces prétendus corps élémentaires dans lesquels la chimie moderne rencontre de nouvelles particules séparables à mesure qu’elle les regarde de plus près. Je n’ai pas trouvé moins de trente-six corps différents parmi les notables d’une petite ville. Ces différents corps, quoique fort menus, travaillent sans cesse à s’amincir encore  ; ils vont tous les jours se purgeant des parties hétérogènes qu’ils peuvent contenir, afin de se réduire aux éléments simples. Il y en a que ce beau travail a réduits à trois ou quatre membres. Leur personnalité n’en est que plus vive et leur humeur plus querelleuse. Tous sont séparés les uns des autres par quelques petits privilèges, les moins honnêtes étant encore signes d’honneur. Entre eux, ce sont des luttes éternelles de préséance. L’intendant et les tribunaux sont étourdis du bruit de leurs querelles. « On vient enfin de décider que l’eau bénite sera donnée au présidial avant de l’être au corps de ville. Le parlement hésitait ; mais le roi a évoqué l’affaire en son conseil, et a décidé lui-même. Il était temps ; cette affaire faisait fermenter toute la ville. » Si l’on accorde à l’un des corps le pas sur l’autre dans l’assemblée générale des notables, celui-ci cesse d’y paraître ; il renonce aux affaires publiques plutôt que de voir, dit-il, sa dignité ravalée. Le corps des perruquiers de la ville de la Flèche décide « qu’il témoignera de cette manière la juste douleur que lui cause la préséance accordée aux boulangers. » Une partie des notables d’une ville re-