Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/188

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d’ailleurs, n’imaginaient jamais qu’on songeât à les détrôner. Ils n’avaient rien de ce naturel inquiet et dur que la peur a souvent donné, depuis, à ceux qui gouvernent. Ils ne foulaient aux pieds que les gens qu’ils ne voyaient pas.

Plusieurs des privilèges, des préjugés, des idées fausses qui s’opposaient le plus à l’établissement d’une liberté régulière et bienfaisante, maintenaient chez un grand nombre de sujets l’esprit d’indépendance, et disposaient ceux-là à se roidir contre les abus de l’autorité.

Les nobles méprisaient fort l’administration proprement dite, quoiqu’ils s’adressassent de temps en temps à elle. Ils gardaient jusque dans l’abandon de leur ancien pouvoir quelque chose de cet orgueil de leurs pères, aussi ennemi de la servitude que de la règle. Ils ne se préoccupaient guère de la liberté générale des citoyens, et souffraient volontiers que la main du pouvoir s’appesantît tout autour d’eux ; mais ils n’entendaient pas qu’elle pesât sur eux-mêmes, et, pour l’obtenir, ils étaient prêts à se jeter au besoin dans de grands hasards. Au moment où la Révolution commence, cette noblesse, qui va tomber avec le trône, a encore vis-à-vis du roi, et surtout de ses agents, une attitude infiniment plus haute et un langage plus libre que le tiers-état, qui bientôt renversera la royauté. Presque toutes les garanties contre les abus du pouvoir que nous avons possédées durant les trente-sept ans du régime représentatif sont hautement revendiquées par elle. On sent,