Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/19

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ne pas mourir. J’ai fait comme ces médecins qui, dans chaque organe éteint, essayent de surprendre les lois de la vie. Mon but a été de faire un tableau qui fût strictement exact, et qui, en même temps, pût être instructif. Toutes les fois donc que j’ai rencontré chez nos pères quelques-unes de ces vertus mâles qui nous seraient le plus nécessaires et que nous n’avons presque plus, un véritable esprit d’indépendance, le goût des grandes choses, la foi en nous-mêmes et dans une cause, je les ai mises en relief, et de même, lorsque j’ai rencontré dans les lois, dans les idées, dans les mœurs de ce temps-là, la trace de quelques-uns des vices qui, après avoir dévoré l’ancienne société, nous travaillent encore, j’ai pris soin d’appeler sur eux la lumière, afin que, voyant bien le mal qu’ils nous ont fait, on comprit mieux celui qu’ils pouvaient encore nous faire.

Pour atteindre ce but, je n’ai craint, je le confesse, de blesser personne, ni individus, ni classes, ni opinions, ni souvenirs, quelque respectables qu’ils pussent être. Je l’ai souvent fait avec regret, mais toujours sans remords. Que ceux auxquels j’aurais pu ainsi déplaire me pardonnent en considération du but désintéressé et honnête que je poursuis.

Plusieurs m’accuseront peut-être de montrer dans ce livre un goût bien intempestif pour la liberté, dont on m’assure que personne ne se soucie plus guère en France.