Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/218

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Toutes ces oppressions nouvelles auraient-elles pu s’établir s’il s’était rencontré à côté du paysan, des hommes riches et éclairés, qui eussent eu le goût et le pouvoir, sinon de le défendre, du moins d’intercéder pour lui auprès de ce commun maître qui tenait déjà dans ses mains la fortune du pauvre et celle du riche ?

J’ai lu la lettre qu’un grand propriétaire écrivait, en 1774, à l’intendant de sa province, pour l’engager à faire ouvrir un chemin. Ce chemin, suivant lui, devait faire la prospérité du village, et il en donnait les raisons, puis il passait à l’établissement d’une foire, qui doublerait, assurait-il, le prix des denrées. Ce bon citoyen ajoutait que, aidé d’un faible secours, on pourrait établir une école qui procurerait au roi des sujets plus industrieux. Il n’avait point songé jusque-là à ces améliorations nécessaires ; il ne s’en était avisé que depuis deux ans qu’une lettre de cachet le retenait dans son château. « Mon exil depuis deux ans dans mes terres, dit-il ingénument, m’a convaincu de l’extrême utilité de toutes ces choses. »

Mais c’est surtout dans les temps de disette qu’on s’aperçoit que les liens de patronage et de dépendance qui reliaient autrefois le grand propriétaire rural aux paysans sont relâchés ou rompus. Dans ces moments de crise, le gouvernement central s’effraye de son isolement et de sa faiblesse ; il voudrait faire renaître pour l’occasion les influences individuelles ou les associations politiques qu’il a détruites ; il les appelle à