Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/250

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dant il n’y a pas de pays au monde où les doctrines les plus hardies des philosophes du dix-huitième siècle, en matière de politique, soient plus appliquées qu’en Amérique ; leurs seules doctrines antireligieuses n’ont jamais pu s’y faire jour, même à la faveur de la liberté illimitée de la presse.

J’en dirai autant des Anglais. Notre philosophie irréligieuse leur fut prêchée avant même que la plupart de nos philosophes ne vinssent au monde : ce fut Bolingbroke qui acheva de dresser Voltaire. Pendant tout le cours du dix-huitième siècle, l’incrédulité eut des représentants célèbres en Angleterre. D’habiles écrivains, de profonds penseurs, prirent en main sa cause ; ils ne purent jamais la faire triompher comme en France, parce que tous ceux qui avaient quelque chose à craindre dans les révolutions se hâtèrent de venir au secours des croyances établies. Ceux mêmes d’entre eux qui étaient le plus mêlés à la société française de ce temps-là, et qui ne jugeaient pas les doctrines de nos philosophies fausses, les repoussèrent comme dangereuses. De grands partis politiques, ainsi que cela arrive toujours chez les peuples libres, trouvèrent intérêt à lier leur cause à celle de l’Église ; on vit Bolingbroke lui-même devenir l’allié des évêques. Le clergé, animé par ces exemples et ne se sentant jamais seul, combattit lui-même énergiquement pour sa propre cause. L’Église d’Angleterre, malgré le vice de sa constitution et les abus de toute sorte qui fourmillaient dans son sein, soutint victorieusement le choc ; des écrivains, des orateurs sortirent