Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/251

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de ses rangs et se portèrent avec ardeur à la défense du christianisme. Les théories qui étaient hostiles à celui-ci, après avoir été discutées et réfutées, furent enfin rejetées par l’effort de la société elle-même, sans que le gouvernement s’en mêlât.

Mais pourquoi chercher des exemples ailleurs qu’en France ? Quel Français s’aviserait aujourd’hui d’écrire les livres de Diderot ou d’Helvétius ? Qui voudrait les lire ? Je dirai presque, qui en sait les titres ? L’expérience incomplète que nous avons acquise depuis soixante ans dans la vie publique, a suffi pour nous dégoûter de cette littérature dangereuse. Vous voyez comme le respect de la religion a repris graduellement son empire dans les différentes classes de la nation, à mesure que chacune d’elles acquérait cette expérience, à la dure école des révolutions. L’ancienne noblesse qui était la classe la plus irréligieuse avant 89, devint la plus fervente après 93 ; la première atteinte, elle se convertit la première. Lorsque la bourgeoisie se sentit frappée elle-même dans son triomphe, on la vit se rapprocher à son tour des croyances. Peu à peu le respect de la religion pénétra partout où les hommes avaient quelque chose à perdre dans le désordre populaire, et l’incrédulité disparut, ou du moins se cacha, à mesure que la peur des révolutions se faisait voir.

Il n’en était pas ainsi à la fin de l’ancien régime. Nous avions si complètement perdu la pratique des grandes affaires humaines, et nous ignorions si bien la part que prend la religion dans le gouvernement des empires,