Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/261

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les montre sans chemins, sans industrie, sans lumières, n’imagine point que leurs affaires pourraient bien être mieux faites, si on chargeait les habitants eux-mêmes de les faire.

Turgot lui-même, que la grandeur de son âme et les rares qualités de son génie doivent faire mettre à part de tous les autres, n’a pas beaucoup plus qu’eux le goût des libertés politiques, ou du moins le goût ne lui en vient que tard et lorsque le sentiment public le lui suggère. Pour lui, comme pour la plupart des économistes, la première garantie politique est une certaine instruction publique donnée par l’État, d’après certains procédés et dans un certain esprit. La confiance qu’il montre en cette sorte de médication intellectuelle, ou, comme le dit un de ses contemporains, dans le mécanisme d’une éducation conforme aux principes, est sans bornes. « J’ose vous répondre, sire, dit-il dans un Mémoire où il propose au roi un plan de cette espèce, que dans dix ans votre nation ne sera plus reconnaissable, et que, par les lumières, les bonnes mœurs, par le zèle éclairé pour votre service et pour celui de la patrie, elle sera infiniment au-dessus de tous les autres peuples. Les enfants qui ont maintenant dix ans se trouveront alors des hommes préparés pour l’État, affectionnés à leur pays, soumis, non par crainte, mais par raison, à l’autorité, secourables envers leurs concitoyens, accoutumés à reconnaître et à respecter la justice. »

Il y avait si longtemps que la liberté politique était