Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/275

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

yeux, dénotent, en effet, dans la société, une sorte de léthargie. Le gouvernement ne fait guère que tourner dans le cercle des vieilles routines, sans rien créer de nouveau ; les villes ne font presque aucun effort pour rendre la condition de leurs habitants plus commode et plus saine ; les particuliers même ne se livrent à aucune entreprise considérable.

Environ trente ou quarante ans avant que la Révolution éclate, le spectacle commence à changer ; on croit discerner alors dans toutes les parties du corps social une sorte de tressaillement intérieur qu’on n’avait point remarqué jusque-là. Il n’y a qu’un examen très-attentif qui puisse d’abord le faire reconnaître ; mais peu à peu il devient plus caractéristique et plus distinct. Chaque année, ce mouvement s’étend et s’accélère ; la nation se remue enfin tout entière et semble renaître. Prenez-y garde ! ce n’est pas son ancienne vie qui se ranime ; l’esprit qui meut ce grand corps est un esprit nouveau ; il ne le ravive un moment que pour le dissoudre.

Chacun s’inquiète et s’agite dans sa condition et fait effort pour en changer : la recherche du mieux est universelle ; mais c’est une recherche impatiente et chagrine, qui fait maudire le passé et imaginer un état de choses tout contraire à celui qu’on a sous les yeux.

Bientôt cet esprit pénètre jusqu’au sein du gouvernement lui-même ; il le transforme au dedans sans rien altérer au dehors : on ne change pas les lois, mais on les pratique autrement.

J’ai dit ailleurs que le contrôleur-général et l’inten-