Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/326

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néanmoins, non-seulement conservé, mais beaucoup accru ses immunités pécuniaires et les avantages dont jouissaient individuellement ses membres ; qu’en devenant une classe subordonnée, elle était restée une classe privilégiée et fermée : de moins en moins, comme je l’ai dit ailleurs, une aristocratie, de plus en plus une caste : on ne s’étonnera plus que ses privilèges aient paru si inexplicables et si détestables aux Français, et qu’à sa vue l’envie démocratique se soit enflammée dans leur cœur à ce point qu’elle y brûle encore.

Si l’on songe enfin que cette noblesse, séparée des classes moyennes, qu’elle avait repoussées de son sein, et du peuple, dont elle avait laissé échapper le cœur, était entièrement isolée au milieu de la nation, en apparence la tête d’une armée, en réalité un corps d’officiers sans soldats, on comprendra comment, après avoir été mille ans debout, elle ait pu être renversée dans l’espace d’une nuit.

J’ai fait voir de quelle manière le gouvernement du roi, ayant aboli les libertés provinciales et s’étant substitué, dans les trois quarts de la France, à tous les pouvoirs locaux, avait attiré à lui toutes les affaires, les plus petites aussi bien que les plus grandes ; j’ai montré, d’autre part, comment, par une conséquence nécessaire, Paris s’était rendu le maître du pays dont il n’avait été jusque-là que la capitale, ou plutôt était devenu alors lui-même le pays tout entier. Ces deux faits, qui étaient particuliers à la France, suffiraient seuls au besoin pour expliquer pourquoi une émeute a pu détruire de fond