Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/35

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que son naturel était essentiellement anarchique. Et pourtant, j’ose dire que ce n’était encore là qu’une apparence.

Moins d’un an après que la Révolution était commencée, Mirabeau écrivait secrètement au roi : « Comparez le nouvel état des choses avec l’ancien régime ; c’est là que naissent les consolations et les espérances. Une partie des actes de l’assemblée nationale, et c’est la plus considérable, est évidemment favorable au gouvernement monarchique. N’est-ce donc rien que d’être sans parlement, sans pays d’états, sans corps de clergé, de privilégiés, de noblesse ? L’idée de ne former qu’une seule classe de citoyens aurait plu à Richelieu : cette surface égale facilite l’exercice du pouvoir. Plusieurs règnes d’un gouvernement absolu n’auraient pas fait autant que cette seule année de Révolution pour l’autorité royale. » C’était comprendre la Révolution en homme capable de la conduire.

Comme la Révolution française n’a pas eu seulement pour objet de changer un gouvernement ancien, mais d’abolir la forme ancienne de la société, elle a dû s’attaquer à la fois à tous les pouvoirs établis, ruiner toutes les influences reconnues, effacer les traditions, renouveler les mœurs et les usages, et vider en quelque sorte l’esprit humain de toutes les idées sur lesquelles s’étaient fondés jusque-là le respect et l’obéissance. De là son caractère si singulièrement anarchique.

Mais écartez ces débris : vous apercevez un pouvoir central immense qui a attiré et englouti dans son unité