Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/350

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personnes aux choses était plus absurde sans doute, mais il était bien moins senti, parce que, gênant encore, il n’humiliait plus. N’étant plus lié d’une manière indissoluble à l’idée de classes, ne créant pour aucune d’elles d’intérêts absolument étrangers ou contraires à ceux des autres, il ne s’opposait plus à ce que toutes s’occupassent ensemble du gouvernement. Plus que partout ailleurs, en Languedoc, elles s’y mêlaient en effet et s’y trouvaient sur le pied de la plus parfaite égalité.

En Bretagne, les gentilshommes avaient le droit de paraître tous individuellement aux États, ce qui souvent fit de ces derniers des espèces de diètes polonaises. En Languedoc, les nobles ne figuraient aux États que par représentants  ; vingt-trois d’entre eux y tenaient la place de tous les autres. Le clergé y paraissait dans la personne des vingt-trois évêques de la province, et, ce qu’on doit surtout remarquer, les villes y avaient autant de voix que les deux premiers ordres.

Comme l’assemblée était unique et qu’on n’y délibérait pas par ordre, mais par tête, le tiers-état y acquit naturellement une grande importance ; peu à peu il fit pénétrer son esprit particulier dans tout le corps. Bien plus, les trois magistrats qui, sous le nom de syndics généraux, étaient chargés, au nom des États, de la conduite ordinaire des affaires, étaient toujours des hommes de loi, c’est-à-dire des roturiers. La noblesse, assez forte pour maintenir son rang, ne l’était plus assez pour régner seule. De son côté, le clergé, quoique composé en grande partie de gentilshommes, y vécut en parfaite