Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/417

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et que, tout en faisant quelques concessions importantes, elle se rattache aux principes de l’ancien régime. Elle sent qu’elle combat ici pour son existence même. Ses cahiers demandent donc avec instance le maintien du clergé et de la noblesse comme ordres distinctifs. Ils désirent même qu’on cherche les moyens de conserver dans toute sa pureté l’ordre de la noblesse ; qu’ainsi il soit défendu d’acquérir le titre de gentilhomme à prix d’argent, que ce titre ne soit plus attribué à certaines places, qu’on ne l’obtienne qu’en le méritant par de longs et utiles services rendus à l’État. Ils souhaitent que l’on recherche et qu’on poursuive les faux nobles. Tous les cahiers enfin insistent pour que la noblesse soit maintenue dans tous ses honneurs. Quelques-uns veulent qu’on donne aux gentilshommes une marque distinctive qui les fasse extérieurement reconnaître.

On ne saurait rien imaginer de plus caractéristique qu’une pareille demande et de plus propre à montrer la parfaite similitude qui existait déjà entre le noble et le roturier, en dépit de la différence des conditions. En général, dans ses cahiers, la noblesse, qui se montre assez coulante sur plusieurs de ses droits utiles, s’attache avec une ardeur inquiète à ses privilèges honorifiques. Elle veut conserver tous ceux qu’elle possède, et voudrait pouvoir en inventer qu’elle n’a jamais eus, tant elle se sent déjà entraînée dans les flots de la démocratie et redoute de s’y dissoudre. Chose singulière ! elle a l’instinct de ce péril, et elle n’en a pas la perception.

Quant à la distribution des charges, les nobles demandent que la vénalité des offices soit supprimée pour les places de magistrature ; que, quand il s’agit de ces sortes de places, tous les citoyens puissent être présentés par la nation au roi, et nommés par lui indistinctement, sauf les conditions d’âge et de capacité. Pour les grades militaires, la majorité pense que le tiers état n’en doit pas être exclu, et que tout militaire qui aura bien mérité de la patrie est en