Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/59

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par le grand Frédéric et promulgué par son successeur, au moment même où la Révolution française vient d’éclater.

Rien de semblable n’existait plus en France depuis longtemps : le paysan allait, venait, achetait, vendait, traitait, travaillait à sa guise. Les derniers vestiges du servage ne se faisaient plus voir que dans une ou deux provinces de l’Est, provinces conquises  ; partout ailleurs il avait entièrement disparu, et même son abolition remontait à une époque si éloignée, que la date en était oubliée. Des recherches savantes, faites de nos jours, ont prouvé que, dès le treizième siècle, on ne le rencontre plus en Normandie.

Mais il s’était fait dans la condition du peuple, en France, une bien autre révolution encore : le paysan n’avait pas seulement cessé d’être serf ; il était devenu propriétaire foncier. Ce fait est encore aujourd’hui si mal établi, et il a eu, comme on le verra, tant de conséquences, qu’on me permettra de m’arrêter un moment ici pour le considérer.

On a cru longtemps que la division de la propriété foncière datait de la Révolution et n’avait été produite que par elle ; le contraire est prouvé par toutes sortes de témoignages.

Vingt ans au moins avant cette révolution, on rencontre des sociétés d’agriculture qui déplorent déjà que le sol se morcelle outre mesure. « La division des héritages, dit Turgot vers le même temps, est telle que celui qui suffisait pour une seule famille se partage