Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/62

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du Rhin ; c’est aussi là que les passions révolutionnaires de la France se sont le plus tôt répandues et ont été toujours les plus vives. Les portions de l’Allemagne qui ont été, au contraire, le plus longtemps impénétrables à ces passions sont celles où rien de semblable ne se voyait encore. Remarque digne d’être faite.

C’est donc suivre une erreur commune que de croire que la division de la propriété foncière date en France de la Révolution ; le fait est bien plus vieux qu’elle. La Révolution a, il est vrai, vendu toutes les terres du clergé et une grande partie de celles des nobles ; mais, si l’on veut consulter les procès-verbaux mêmes de ces ventes, comme j’ai eu quelquefois la patience de le faire, on verra que la plupart de ces terres ont été achetées par des gens qui en possédaient déjà d’autres ; de sorte que, si la propriété a changé de mains, le nombre des propriétaires s’est bien moins accru qu’on ne l’imagine. Il y avait déjà en France une immensité de ceux-ci, suivant l’expression ambitieuse, mais juste, cette fois, de M. Necker.

L’effet de la Révolution n’a pas été de diviser le sol, mais de le libérer pour un moment. Tous ces petits propriétaires étaient, en effet, fort gênés dans l’exploitation de leurs terres, et supportaient beaucoup de servitudes dont il ne leur était pas permis de se délivrer.

Ces charges étaient pesantes sans doute ; mais ce qui les leur faisait paraître insupportables était précisément la circonstance qui aurait dû, ce semble, leur en alléger le poids : ces mêmes paysans avaient été sous-