Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/63

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traits, plus que nulle part ailleurs en Europe, au gouvernement de leurs seigneurs ; autre révolution non moins grande que celle qui les avait rendus propriétaires.

Quoique l’ancien régime soit encore bien près de nous, puisque nous rencontrons tous les jours des hommes qui sont nés sous ses lois, il semble déjà se perdre dans la nuit des temps. La révolution radicale qui nous en sépare a produit l’effet des siècles : elle a obscurci tout ce qu’elle ne détruisait pas. Il y a donc peu de gens qui puissent répondre aujourd’hui exactement à cette simple question : Comment s’administraient les campagnes avant 1789 ? Et, en effet, on ne saurait le dire avec précision et avec détail sans avoir étudié, non pas les livres, mais les archives administratives de ce temps-là.

J’ai souvent entendu dire : la noblesse, qui depuis longtemps avait cessé de prendre part au gouvernement de l’État, avait conservé jusqu’au bout l’administration des campagnes ; le seigneur en gouvernait les paysans. Ceci ressemble bien à une erreur.

Au dix-huitième siècle, toutes les affaires de la paroisse étaient conduites par un certain nombre de fonctionnaires qui n’étaient plus les agents de la seigneurie et que le seigneur ne choisissait plus ; les uns étaient nommés par l’intendant de la province, les autres élus par les paysans eux-mêmes. C’était à ces autorités à répartir l’impôt, à réparer les églises, à bâtir les écoles, à rassembler et à présider l’assemblée de la paroisse.