Page:Allais - À l’œil.djvu/8

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vingt-huit jours, Alphonse Allais, simple soldat, entra un matin à la salle des rapports. Il y avait là des officiers d’un grade élevé : le capitaine adjudant-major, un commandant, le colonel peut-être ! Alphonse Allais porta la main à son képi et dit du ton le plus naturel : « Bonjour, messieurs et dames ! »

Cela n’a l’air de rien ; mais, quand on y réfléchit, quand on songe à la hiérarchie, à la discipline, à la terreur militaire, à la grosse boîte, à Biribi, que sais-je ? cela paraît formidable ; devant cet inoffensif : — Bonjour, messieurs et dames ! — on demeure confondu, on est pris de vertige. Depuis que l’humanité est à l’âge des casernes, un seul troupier, un seul, est entré dans une salle des rapports en disant : — Bonjour, messieurs et dames ! — et ce troupier est Alphonse Allais… et c’est tout Alphonse Allais.

Certes, la plaisanterie était téméraire :

Humour, humour, quand tu nous tiens,
On peut bien dire : Adieu, prudence !

Mais ce qui préserva notre humoriste, dans une circonstance aussi périlleuse, ce fut son imperturbable sérieux. S’il avait paru s’amuser lui-même de ce salut prodigieux, s’il avait ri, le premier (et quel mauvais goût !) de sa plaisanterie, il était perdu. Le capitaine adjudant-major, le commandant, le colonel ne s’y seraient pas trompés : ils auraient bien vu qu’ils avaient affaire à un farceur ; que serait-il