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Société d’éclairage par les yeux de Tigres. D’abord ce sera plus pittoresque que le gaz ou l’électricité. Sur d’élégantes colonnes de fonte, on installera des cages contenant des tigres adultes. Des cages solides, bien entendu, car une fuite de tigres offrirait des inconvénients beaucoup plus dangereux qu’une fuite de gaz.

— Oh ! on s’en apercevrait tout de suite.

— Probablement. Quand on sentirait quelques crocs pointus pénétrer indiscrètement dans sa cuisse, on dirait : Tiens, il doit y avoir une fuite de tigre dans le quartier !

— Les gaziers seraient remplacés par des dompteurs : ce serait bien plus drôle.

— Ce serait charmant, je te dis !

— Est-ce que tu ne crois pas que pour le prix de revient ?…

— Pas tant que tu crois, car la Société générale d’éclairage par les yeux de Tigres ferait comme la Compagnie du Gaz qui réalise d’énormes bénéfices avec ses résidus. Sais-tu, par exemple, comme le fumier de tigre est excellent pour les rhododendrons et les pétunias ?

— Bonne idée, cela !

— Le temps me manque pour te développer mon affaire. Je t’enverrai le prospectus. Au revoir, mon vieux.

— À un de ces jours, Lafoucade.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

J’ai eu l’occasion, il y a quelques jours, de faire la connaissance du susnommé Cornuel (un excellent garçon).

— Dites-moi, fis-je un peu défiant, avez-vous rencontré beaucoup de tigres au Tonkin ?

— Pas un seul ? Le seul tigre que j’ai vu en Indo-Chine, c’est un vieux tigre dans une ménagerie de Saïgon, un pauvre vieux tigre aveugle qui ressemblait bien plus à une descente de lit qu’à un dangereux carnassier.