Page:Anatole France - Filles et garçons.djvu/20

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luron ; il ne porte point encore la culotte, mais son esprit a devancé son âge, et il n’y a pas d’esprit plus gaillard que celui-là. Tandis qu’il s’attache d’une main au tablier de sa sœur, de peur de tomber, il agite son fouet de l’autre main avec la vigueur d’un robuste garçon.


C’est à peine si le premier valet de son père fait mieux claquer le sien quand, en ramenant les chevaux de la rivière, il rencontre sa fiancée. Le petit Jean ne s’endort pas dans une molle rêverie. Il ne se soucie pas des fleurs des champs. Il songe, pour ses jeux, à de rudes travaux. Il rêve charrois embourbés et percherons tirant du collier à sa voix et sous ses coups.

Catherine et Jean sont montés au-dessus des prairies, le long du coteau, jusqu’à un endroit élevé d’où l’on découvre tous les feux du village épars dans la feuillée, et à l’horizon les clochers de six paroisses. C’est là qu’on voit que la terre est grande. Catherine y comprend mieux qu’ailleurs les histoires qu’on lui a apprises, la colombe de l’arche, les Israélites dans la terre promise et Jésus allant de ville en ville.

« Asseyons-nous là ». dit-elle.

Elle s’assied. En ouvrant les mains elle répand sur elle sa moisson fleurie. Elle en est toute parfumée et déjà les papillons voltigent autour d’elle. Elle choisit, elle assemble les fleurs ; elle en fait des guirlandes et des couronnes et se suspend des clochettes aux oreilles ; elle est maintenant ornée comme l’image rustique d’une Vierge vénérée des bergers. Son petit frère Jean, occupé pendant ce temps à conduire des chevaux imaginaires, l’aperçoit ainsi parée. Aussitôt il est saisi d’admiration. Un sentiment religieux pénètre toute sa petite âme. Il s’arrête, le fouet lui tombe des mains. Il comprend qu’elle est belle. Il voudrait être beau aussi et tout chargé de fleurs. Il essaye en vain d’exprimer ce désir dans son langage obscur et