Page:Anatole France - La Révolte des anges.djvu/130

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haillons dérobés à l’étalage d’un revendeur israélite, il alla trouver celle qu’il aimait : elle se nommait Bouchotte et habitait un petit logement à Montmartre. Il se jeta à ses pieds et lui dit qu’elle était adorable, qu’elle chantait délicieusement, qu’il l’aimait à la folie, qu’il renonçait pour elle à sa famille, à sa patrie, qu’il était musicien et n’avait pas de quoi manger. Touchée de tant de jeunesse, de candeur, de misère et d’amour, elle le nourrit, le vêtit et l’aima.

Cependant, après de longues et pénibles démarches, il trouva des leçons de solfège et se fit quelque argent, qu’il apportait à son amie sans en rien garder pour lui. Dès lors, elle ne l’aima plus. Elle le méprisa de gagner si peu et lui laissa voir son indifférence, sa lassitude et son dégoût. Elle l’accablait de reproches, d’ironies et d’injures : pourtant elle le gardait, ayant fait avec d’autres pire ménage, accoutumée aux querelles domestiques et, du reste, menant au dehors une existence très occupée, très sérieuse et très rude d’artiste et de femme. Théophile l’aimait comme la première nuit et souffrait.