Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/118

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est sujet à la peur et de tous les animaux domestiques le plus doux, le plus riant et le plus docile. Nous sommes militaires, en France, et nous sommes citoyens. Autre motif d’orgueil, que d’être citoyen ! Cela consiste pour les pauvres à soutenir et à conserver les riches dans leur puissance et leur oisiveté. Ils y doivent travailler devant la majestueuse égalité des lois, qui interdit au riche comme au pauvre de coucher sous les ponts, de mendier dans les rues et de voler du pain. C’est un des bienfaits de la Révolution. Comme cette révolution a été faite par des fous et des imbéciles au profit des acquéreurs de biens nationaux et qu’elle n’aboutit en somme qu’à l’enrichissement des paysans madrés et des bourgeois usuriers, elle éleva, sous le nom d’égalité, l’empire de la richesse. Elle a livré la France aux hommes d’argent, qui depuis cent ans la dévorent. Ils y sont maîtres et seigneurs. Le gouvernement apparent, composé de pauvres diables piteux, miteux, marmiteux et calamiteux, est aux gages des financiers. Depuis cent ans, dans ce pays empoisonné, quiconque aime les pauvres est tenu pour traître à la société. Et l’on est un homme dangereux quand on dit qu’il est des misérables. On a fait même des lois contre l’indignation et la pitié. Et ce que je dis ici ne pourrait pas s’imprimer.